Ralph SUAREZ

Je suis en train de me brosser les dents quand j’entends un bruit de verre qui se brise. Le ton monte dans la pièce d’à côté. Joana commence à bien perdre patience... Quelques secondes après Ralph entre comme une furie dans la salle de bain et me bouscule avant de s’enfermer dans un bloc de douche.

Qu’est ce qu’il a encore fait ? Je ne sais pas trop, avec lui je n’arrive plus à suivre. Il ne se passe pas un jour sans qu’il invente une nouvelle connerie. En ce moment son truc c’est de briser la vaisselle, comme il faut un certain temps pour le bunker pour en reproduire, il sait que ça va directement embêter tout le monde.

Ralph me fascine en quelque sorte. Enfin c’est sa capacité à se ficher de tout, en particulier des punitions qui me fascine. Sa différence avec sa jumelle aussi est troublante : elle est aussi calme qu’il est turbulent.

Joana vient d’entrer dans la salle de bain. Elle me sourit de manière crispée et me voyant prêt, elle m’’invite à rejoindre les autres. Puis, elle se désintéresse de moi et tambourine à la porte de la douche de Ralph qui se met à l’arroser. Je sors vite d’ici avant que cela ne dégénère.

12 février 2136.

« Elle disait qu'elle voulais voir des fleurs. T'y crois toi ? » La voix de Ralph est montée dans les aiguës, la suite n'est qu'un cri contenu. « Elle est sortie pour voir des putains de fleurs, et maintenant, elle est morte ! »
Ces derniers moi, Ralph, qui ne s'était jamais intéressé à sa famille lorsque nous étions à l'Intérieur, s'est laissé aller à créer des liens avec les siens. Loin de tout, au cœur d'une adversité si grande qu'elle nous a arraché l'une des nôtres, il s'est enfin autorisé à les aimer. Je voudrais lui dire que l'amour qu'il a découvert pour les siens est un des plus grands cadeaux que Dieu pouvait lui donner.
« Regarde-moi ça, reprend-t-il, hargneux, Monica, Alban, Isis, Phoebe, Tristan et moi ! Setp avec Elise ! T'y crois à ça, toi, à autant de Suarez dans le Dehors ? Je voulais qu'on me foute la paix avec ma famille, et même dans l'Extérieur, il arrivent à m'emmerder ! Putain, Élise ! Cette conne était sortie pour voir des fleurs ! »
Ralph tremble de tous ses membres. J'ai l'impression qu'il se brisera en morceau si je le touche. Je prends le risque. Je tends la main, je l'attire à moi. Il se fracasse en sanglots dans mes bras. Des larmes gèlent sur mes paupières. Qu'il est cruel ce premier hiver.

6 novembre 2136
Un coup de feu retenti. Le crâne de Victoria explose, éclaboussant de sang Ralph qui se trouvait à nos côté. Phoebe se met à hurler mais alors que Dany recharge, Ganelon loge une balle dans le torse de notre rêveuse. Je ne comprends rien à ce qui se passe. Une nouvelle détonation retentit au moment où Ralph se jette sur moi pour me plaquer au sol.
Ma tête heurte durement une pierre et ma vue se brouille. Il me semble apercevoir Marc brandir une arme et presser son doigt contre la gâchette. Ralph s'appuie de tout son poids sur moi, m'empêchant de bouger. A quelques mètres de moi, Isis est recroquevillée derrière un vieux baril de métal. Non loin d'elle, Monica est allongée dans la neige, complètement terrorisée.
De nouveaux coup de feux retentissent. J'entends Frida hurler :
« Lâche ton arme Philippe !
– Elle n’est pas chargée merde ! Aucune des armes n’aurait du être chargée ! »
Je redresse la tête. Au milieu du camps, Frida et Lena tiennent en joue Philippe et Marc. Les coups de feu semblent avoir cessé. Alban est le premier à réagir. Je le vois courir d'un bout à l'autre du camp, s'arrêtant ça et là, au dessus de corps inertes.
Je voudrais dire à Ralph de se relever, mais j'ai du mal à trouver mon souffle. Lorsque j'arrive enfin à prononcer quelques mots, c'est à peine un filet de son qui sort de mes lèvres : « Ralph, relève-toi, ils ont besoin d'aide ! » Ralph ne répond pas. Je tourne péniblement ma tête vers la sienne et croise l'éclat terne de son œil. Une balle lui a arraché l'autre moitié du crâne.

9 novembre 2136
Nous sommes partis à l'aube. Chacun de mes pas me pèse. Victoria. Pheobe. Junior. Yoann. Sophie. Ralph.
Mon sac me scie les épaules. Il est plus lourds de toutes les munitions du groupe que j'y ai rangées. Isis garde les armes. Seuls ceux qui partent chasser peuvent s'en munir. Isis se sent valorisée et elle j'ai la certitude qu'entre les mains de cette harpie les fusils seront bien gardés.
Sur le traîneau, Pauline gémit par intermittence. J'aurai aimé rester sur place et pour prendre le temps de lui prodiguer des soins, mais l’hiver est sur nos talons. Il nous faut gagner des terres plus hospitalières si nous voulons survivre une saison de plus.
Dans mon sac, les munitions s'entrechoquent. À chacun de mes pas, j'ai l'impression de les entendre scander : « Ralph ». Ralph. Ralph...

||||||| 20 décembre 2125 : Ralph

Cela fait très exactement 23 minutes que Ralph tapote sur sa chaise en me fixant droit dans les yeux. C’est long. Très long. J’ai l’impression que chaque coup me vrille le cerveau tellement ça m’agace. Je ne craquerai pas.

Le meilleur ami de Gwen est une véritable anguille. Suite à ses déviances comportementales (insolence, refus des règles, violence physique et verbale, manque total d’empathie pour les victimes de ses méfaits), il lui a gentiment été demandé de suivre des séances à mes côtés. Bien évidemment, le fils Suarez a refusé et il n’a pas été simple de lui faire comprendre qu’il n’a pas le choix. A côté de ses créneaux, ceux de Gwen me paraissent presque faciles : chez elle, il y a une espèce de constance, dans son comportement. Ou bien quand il s’infléchit, j’arrive à le voir venir, à peu près.
Avec Ralph, jamais. Parfois il passe l’heure à se taire et à regarder le mur. D’autres, il parle sans s’arrêter, avec force insultes et commentaires salaces. Ou bien il grave consciencieusement sa chaise, attendant avec un sourire goguenard que je lui fasse une remarque. Parfois encore, je sens en lui tant de colère qu’il est à deux doigts d’exploser physiquement. Il arrive que je n’en mène pas large, mais je tiens le choc. Il semble avoir tout de même une once de sociabilité puisqu’il n’en vient pas aux mains et heureusement pour moi car je ne ferais pas le poids face à sa masse musculaire.

Aujourd’hui donc, son nouveau jeu est de tester ma patience. Je ne m’attarde pas sur son regard insolent et je prends des notes. Son attitude générale, sa posture. Le temps qu’il va tenir. Où il regarde.

Le petit jeu dure encore dix bonnes minutes et finalement il craque. Je suis submergée par le soulagement mais je m’efforce de ne rien en laisser paraître.

-Putain Lily, t’es forte. Même moi je m’auto-saoulais là. T’as une putain d’endurance.
-Tu as terminé ? Peut-on poursuivre ?
-Oui. Enfin non. Maintenant, de voir que t’es si résistante, j’ai qu’une envie, c’est de te prendre, là maintenant, tout de suite, sur ce bureau.
-Ce n’est pas l’objet de notre entretien.

Il me provoque et je le sais. Je ne rentrerai pas dans ce nouveau petit jeu. Je vois bien à son regard que ce n’est que du vent. Il s’avachit sur la chaise en écartant les jambes.

-Allez, vas-y. Après tout ce que je viens de te faire chier, tu mérites bien une petite récompense. Tu regretteras pas le voyage !
-Ralph.
-Oui chérie ?
-Cette attitude n’est pas des plus efficaces pour ouvrir le dialogue avec ton interlocuteur.
-Je m’en carre, je te dis que j’ai envie de te baiser.
-Tu ne vas rien gagner à jouer ainsi, tu le sais.
-Génial. Comme ça on passera encore plus de temps ensemble. J’ai hâte.

La vache. J’ai du pain sur la planche.

Du côté de Ralph, je peine toujours autant à le saisir. Il continue de jouer avec moi et je continue de ne pas craquer. Je pense que son comportement n’est qu’une manière de se mettre en valeur, de se singulariser au milieu du joyeux clan Suarez. De ce que j’ai réussi à déceler de nos échanges, il a un vrai manque de reconnaissance et fait tout ce qu’il peut pour se faire remarquer. Pourtant, à fréquenter souvent le clan, je sais qu’ils entourent les leurs de beaucoup d’attention. Mais sans doute n’est-ce pas assez pour Ralph qui joue la carte de la provocation pour sortir du lot. Il faudrait que je parvienne à identifier si certaines personnes en particulier lui tiennent à coeur.